Entretien avec Philippe La Sagna

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Psychanalyste, membre de l’ECF et de l’AMP

CPCT-Paris : Qu’est-ce que le dispositif CPCT a d’inédit au cœur de la cité, de ses institutions sociales, éducatives et de santé mentale face à ce qui pour beaucoup de nos contemporains s’énoncent et s’éprouvent couramment comme la galère sociale  – un nouveau nom du malaise dans la culture ?

Philippe La Sagna : Le CPCT existe à ces dispositifs, car il propose de s’exposer au discours analytique, de parler à quelqu’un qui a l’expérience de son inconscient. Il ne promet donc rien d’autre. On peut savoir quelque chose de ce qui vous a mis dans la galère de l’existence. Cela se fait au un par un. Le CPCT ne traite pas de la galère elle-même.

À Bordeaux, nous avons créé un CPCT « lien social » qui s’adresse a ceux qui ont un problème avec ce lien. Cela va des sujets hors-discours aux poly-diplômés sans travail que le système multiplie. Une grande partie de la jeunesse est ainsi en marge, même pas admise à ramer. Évidemment la donne est inégale, et parler à un analyste peut aider le sujet à se faufiler dans le social. Avant, cette marge de l’entrée dans la vie était un moment fécond qui facilitait la révolte et l’invention comme en 68. Maintenant la marge dure, on est passé à l’émeute, qui est liée au désespoir, et a remplacé la révolte.

CPCT-Paris : L’argument rappelle que Lacan, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, évoque « l’homme “affranchi” de la société moderne », non sans « ses séquences sociales d’échec et de crime », qui voue « l’homme moderne à la plus formidable galère sociale », les CPCT y font face dans un contexte de discours – capitaliste, de la science, etc. – qui ont modifié « jusqu’au fond de l’être sa formidable lézarde »1 ?

Philippe La Sagna : Certes le lien social subit la précarité du lien du travail et les effets de la précarité du lien conjugal et familial. La psychanalyse regrette le chômage et la société liquide, mais elle n’a pas la nostalgie du bon vieux temps qui faisait des vies gâchées. Ce qui est nouveau, c’est d’avoir plusieurs vies, successives depuis le siècle passé et dorénavant parallèles.

Nous sommes attentifs aux liens qui s’inventent et se créent.

On ne trouve plus sa place dans le monde, on l’invente parfois à plusieurs. 

Le CPCT-Aquitaine a mis en place des tables rondes où participent des acteurs sociaux afin d’échanger sur la violence, la place des femmes, le décrochage scolaire, la ségrégation… 

Là il s’agit de faciliter l’invention. Le discours analytique existe aux autres, mais aussi, il se démontrera qu’il les permet, les facilite. La montée de la jouissance comme valeur ne pourra exister que si existent des sujets porteurs d’un désir singulier de leur analyse.

1 Lacan J., « L’agressivité en psychanalyse », Écrits, Paris, Seuil , p. 124.